Neurodéveloppement et physiothérapie : vers un repérage précoce et systématique des troubles moteurs ?
par Sébastien Krumm et Colin Fromion
Résumé
Les recommandations de la Haute Autorité de Santé relatives au repérage et à l’orientation des enfants à risque de troubles neurodéveloppementaux publiées en février 2020 positionnent précocement le physiothérapeute dans le traitement des « troubles du tonus, du développement de la motricité et de la posture ». Observables dès les premières semaines de vie, ces troubles peuvent être les signes précoces de troubles du neurodéveloppement en devenir, voire les marqueurs plus spécifiques de la paralysie cérébrale. Malgré certains freins qui restent à lever, de nouveaux outils standardisés et validés permettent aujourd’hui aux praticiens de mieux structurer le repérage des troubles développementaux chez le nourrisson avant ses 6 mois d’âge corrigé, notamment lorsqu’il est identifié « à risque » par son contexte néonatal ou environnemental. Le 4e mois se présente comme une fenêtre optimale pour un repérage spécifique des troubles neuro-moteurs, repérage qui pourrait se voir systématisé au cœur d’un parcours pluridisciplinaire.
Introduction
Les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) relatives au repérage et à l’orientation des enfants à risque de troubles neurodéveloppementaux publiées en février 2020 positionnent précocement le physiothérapeute dans le traitement des « troubles du tonus, du développement de la motricité et de la posture » [1].
Les difficultés posturales et motrices sont parfois observables dès les premières semaines de vie. Elles peuvent être le premier regard posé sur des troubles du neurodéveloppement (TND) en devenir, ou les marqueurs plus spécifiques de la paralysie cérébrale (PC). Les facteurs qui exposent les enfants à un risque développemental sont maintenant bien connus (prématurité, encéphalopathie anoxo-ischémique, environnement, etc.) et sont pour la majorité identifiables dans le contexte périnatal. Une continuité de suivi des nourrissons à risque s’impose alors dès la sortie des services de maternité ou de néonatalogie au sein desquels des interventions de soutien au développement et de repérage des troubles ont été initiées.
Au cœur d’une équipe pluridisciplinaire (néonatologues, puéricultrices, psychomotriciens, etc.) dans les services périnataux ou en relais lors du retour à domicile, le physiothérapeute joue un rôle qui s’étend de la prévention à la rééducation des troubles moteurs avérés. Acteur clé du soutien au développement perceptif et moteur du nourrisson – quel que soit son niveau d’action (services néonataux, structures impliquées dans l’évaluation ou le suivi post-hospitalier, cabinet libéral) – il doit pouvoir assurer la continuité du suivi dans le parcours de l’enfant et motiver une consultation spécialisée si nécessaire.
Malgré certains freins qui restent à lever, de nouveaux outils d’évaluation standardisés et validés permettent aujourd’hui aux praticiens de mieux structurer le repérage des troubles développementaux avant l’âge de 6 mois d’âge corrigé1 du nourrisson, de s’intégrer dans un suivi pluridisciplinaire et de guider les interventions. Les travaux récents confèrent donc aux physiothérapeutes les compétences nécessaires à un repérage plus précoce que celui préconisé dans les recommandations de la HAS, grâce notamment à l’observation de la qualité de la motricité spontanée du nourrisson (< 22 semaines post-terme) et de ses habiletés motrices.
Définition et prévalence
Le neurodéveloppement recouvre l’ensemble des mécanismes qui, dès le plus jeune âge et avant même la naissance, structurent la mise en place des réseaux du cerveau impliqués dans la motricité, la vision, l’audition, le langage ou les interactions sociales [1].
Les TND renvoient à un groupe de troubles hétérogènes, chroniques et irréversibles, avec des perturbations dans l’acquisition ou l’expression d’habiletés développementales : la motricité fine et globale, la locomotion, le langage, les
Des facteurs de risque bien identifiés
L’impact des antécédents néonataux dans le développement d’un TND est bien référencé, notamment grâce aux données issues de grandes cohortes nationales : EPIPAGE, EXPRESS et EPICure [7], [8], [9]. Ces constats ont permis d’établir une liste de facteurs de risques facilement identifiables en pratique courante. On y trouve bien sûr le terme et le poids de naissance, mais aussi d’autres antécédents périnataux tels que les souffrances fœtales (exposition aux toxiques, hypoxo-ischémie, AVC néonatal,
La motricité, marqueur précoce d’une trajectoire développementale atypique chez le nourrisson
Dans son argumentaire, la HAS évoque des « troubles indifférenciés », présents très tôt dans le développement, qui peuvent chacun être considérés comme une réponse motrice inadaptée à un stimulus de l’environnement : troubles du tonus (absence de tenue de tête, hypotonie axiale ou des membres, déficience posturale), troubles de l’oralité (tétées prolongées, difficultés de coordination, hypersensibilité), mauvais contact oculaire (interaction visuelle, absence de sourire-réponse) [1].
Le repérage précoce des troubles moteurs : point noir des recommandations
Ces nouvelles recommandations apportent des éclairages intéressants sur la notion de trajectoire développementale et sur la place qui devrait être accordée aux parents. Elles précisent les différents algorithmes de suivi et d’orientation en fonction des facteurs de risque néonataux et environnementaux. Elles soutiennent aussi le rôle des réseaux de suivi ainsi que des récentes plateformes de coordination et d’orientation.
Quels sont les outils de repérage précoce ?
À l’heure actuelle, les diagnostics de TND se font généralement à l’âge scolaire ; celui de la paralysie cérébrale se fait encore fréquemment entre 12 et 24 mois d’âge corrigé devant la combinaison de signes cliniques, de symptômes neurologiques et de limitations des activités motrices.
Le caractère tardif de ces diagnostics entraîne des retards de suivi et de traitement qui induisent une perte de chance importante alors que la plasticité du cerveau est optimale dans les premiers mois.
Conclusion
La précocité du repérage repose tout d’abord sur l’identification de la vulnérabilité du nourrisson grâce à la prise en compte des facteurs de risques. La trajectoire neurodéveloppementale peut être surveillée dès la période néonatale. Les observations réalisées devraient pouvoir être transmises aux professionnels qui réaliseront le suivi, ce qui pourrait être favorisé par l’émergence d’outils communs de communication.
Contribution des auteurs
Sébastien Krumm et Colin Fromion ont réalisé l’analyse de la littérature, synthétisé les données, et rédigé l’article.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
M. Micai et al. Early behavioral markers for neurodevelopmental disorders in the first 3 years of life: An overview of systematic reviews Neurosci Biobehav Rev(2020)
F. Ferrari et al. The ontogeny of fidgety movements from 4 to 20weeks post-term age in healthy full-term infants Early Hum Dev(2016)
J.L.M. Bruggink et al. Quantitative aspects of the early motor repertoire in preterm infants: Do they predict minor neurological dysfunction at school age? Early Hum Dev(2009)
S. Salavati et al. The association between the early motor repertoire and language development in term children born after normal pregnancy Early Hum Dev(2017)
C. Einspieler et al. Highlighting the first 5 months of life: General movements in infants later diagnosed with autism spectrum disorder or Rett syndrome Res Autism Spectr Disord(2014)
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