Analyse des pratiques professionnelles des kinésithérapeutes praticiens libéraux en France dans le traitement de la scoliose idiopathique de l’adolescent. Enquête par questionnaire
Par Léa Lemyre et Jean-Michel Coulet
Résumé
La scoliose, la plus fréquente des déformations rachidiennes, d’étiologie multifactorielle, est caractérisée par une déformation tridimensionnelle, associée à une torsion du rachis et des déformations thoraciques qu’elle entraîne. Le but de cette étude était de réaliser une analyse des pratiques professionnelles dans le traitement de la scoliose idiopathique de l’adolescent en cabinet libéral en France. Deux objectifs étaient poursuivis : s’informer sur les différentes techniques utilisées et sur l’intérêt que portent les professionnels aux recommandations internationales de la SOSORT.
Une enquête par questionnaire a été réalisée pour répondre à la question : Quelles sont les pratiques des kinésithérapeutes en cabinet libéral pour les patients atteints de scoliose idiopathique de l’adolescent (de 10 à 17 ans) en France, en comparaison aux recommandations de bonne pratique de la littérature ? Un questionnaire Google Forms® (29 questions) a été diffusé en ligne pendant 4 semaines. Les résultats des 189 réponses reçues ont montré une méconnaissance des recommandations chez 94 % des répondants. Certaines recommandations semblaient peu suivies : l’apprentissage de la correction posturale 3D (27 %), l’entretien de la proprioception (26 %), l’entretien de la fonction respiratoire (17 %) et l’éducation (3 %). La mise en place des exercices spécifiques à la scoliose était peu fréquente.
Bien que peu de kinésithérapeutes ont mentionné avoir suivi une formation post-diplôme au sujet de la scoliose idiopathique de l’adolescent, 98 % étaient en demande d’informations complémentaires pour enrichir leur pratique. Cette demande d’informations et la variété des méthodes plaident pour un renfort de la formation initiale et un développement des formations continues sur la rééducation de la scoliose idiopathique de l’adolescent.
Niveau de preuve : 4.
Mots clés
- Exercices spécifiques à la scoliose en physiothérapie
- Recommandations de bonne pratique
- Rééducation
- Scoliose idiopathique de l’adolescent
Introduction
La scoliose est la plus fréquente des déformations rachidiennes. C’est une déformation de la colonne vertébrale dans les trois plans de l’espace, caractérisée par une torsion du rachis et des déformations thoraciques qu’elle entraîne [1]. Elle est diagnostiquée cliniquement par le test d’Adam, puis confirmée par une radiographie du rachis qui montre un angle de Cobb ≥ à 10° et une rotation des vertèbres qui participent à la courbure [2], [3]. Dans 80 % des cas, la scoliose est d’étiologie multifactorielle (d’où son nom de scoliose idiopathique) et se traduit par des troubles orthostatiques de la posture. L’évolutivité maximale d’une scoliose idiopathique se situe pendant la poussée pubertaire, raison pour laquelle on parle de scoliose idiopathique de l’adolescent (SIA) [3], [4]. Comme la scoliose est soumise aux lois mécaniques, l’asymétrie des contraintes entraîne une croissance cunéiforme des corps vertébraux, ce qui engendre une scoliose structurale irréductible. La kinésithérapie intervient principalement sur deux facteurs : l’aspect mécanique et l’aspect neurosensoriel.
Dans tous les traitements de scoliose, deux objectifs sont visés : stabiliser et si possible améliorer la courbure scoliotique, tout en rétablissant des courbures sagittales physiologiques et harmonieuses. En fonction de l’évolution de la scoliose, une rééducation peut soit être prescrite seule (angle de COBB < 20°), soit en accompagnement du traitement orthopédique (> 20° et évolutive) ou chirurgical (> 45° pour les courbures thoraciques). La kinésithérapie s’intègre ainsi à tous les stades du traitement. La scoliose est fréquemment traitée en cabinet libéral de kinésithérapie. Près de 80 % des masseurs-kinésithérapeutes (MK) libéraux français traitent des patients atteints de scoliose [5]. L’efficacité de la kinésithérapie est cependant controversée du fait que la littérature comprend un grand nombre d’études de faible niveau méthodologique. En effet, la recherche est compliquée, par l’hétérogénéité des traitements étudiés ainsi que par la difficulté de mener des études longitudinales sur plusieurs années et par l’impossibilité d’appliquer le traitement en aveugle [4], [6], [7].
En France, alors que les traitements orthopédiques ou chirurgicaux sont bien codifiés, la Haute Autorité de Santé (HAS) indique que « la kinésithérapie prescrite isolément n’a pas fait la preuve de son efficacité sur l’évolution des courbures » [6], [7], [8]. Cependant, un consensus international de professionnels, membres de la Society on Scoliosis Orthopaedic and Rehabilitation Treatment (SOSORT) supporte l’efficacité de la kinésithérapie associée au traitement par corset dans la SIA [4], [9], [10], [11], [12].
Le MK dispose de nombreuses méthodes, spécifiques ou non à la scoliose. Malgré les bons résultats observés pour certaines méthodes, aucune ne peut se prévaloir d’être la méthode de référence pour le traitement de la scoliose [3]. Certaines de ces méthodes datent du début du XX° siècle comme celles de Klapp ou Von Niederhoffer. D’autres, plus récentes, sont en constante évolution, comme les principes de Sohier, la méthode Mézières, la rééducation posturale globale ou la méthode Busquet [13], [14], [15]. En 2016, la SOSORT a publié des recommandations de bonne pratique – élaborées par un consensus de professionnels à l’aide d’une procédure Delphi – qui définissent les lignes directrices du traitement de la SIA [4]. Un certain nombre de ces recommandations de bonne pratique concernent la kinésithérapie et complètent le guide français de la HAS de 2008 [2].
Le consensus de la SOSORT recommande certaines méthodes de rééducation groupées sous le terme d’exercices spécifiques à la scoliose en physiothérapie (ESSP) si elles respectent certains principes : l’auto-correction en 3D, la stabilisation de la correction posturale, l’intégration de la position corrigée dans les activités de la vie quotidienne et l’utilisation de l’éducation thérapeutique [4]. Il s’agit par exemple de la Méthodes lyonnaise, des méthodes Schroth, Scientific exercises approach to scoliosis (SEAS), Dobomed, Side-Shift, etc.
Les ESSP sont recommandés en tant que première étape pour traiter la SIA, afin de prévenir/limiter la progression de la malformation. Les kinésithérapeutes qui les pratiquent doivent être formés à la méthode utilisée [4], [6], [16]. La SOSORT recommande que des ESSP soient effectués pendant le traitement par corset. Les objectifs sont d’augmenter l’observance du port du corset, de maintenir la souplesse du rachis, d’améliorer la fonction respiratoire en facilitant l’expansion et la ventilation des compartiments pulmonaires spécifiques.
Dans le cadre de leur exercice, les MK bénéficient de l’indépendance professionnelle, ce qui implique qu’ils peuvent poursuivre des objectifs de traitement différents et utiliser différentes méthodes de rééducation selon le patient qu’ils traitent [3]. Il est donc intéressant de cerner les pratiques dans le cadre du traitement de la SIA, mais aussi de savoir comment ont été acquises les méthodes utilisées : dans le cadre de la formation initiale ou du développement professionnel continu ?
Selon l’article R.4321-80 du Code de déontologie de la profession, « le MK s’engage à assurer au patient des soins consciencieux, attentifs et fondés sur les données actuelles de la science ». Cela suppose que les praticiens connaissent et appliquent les recommandations de bonne pratique. Est-ce le cas en pratique ? Ces méthodes considérées comme ESSP qui découlent de recommandations de bonne pratique internationales récentes, sont-elles mieux connues et appliquées chez les jeunes professionnels que chez les anciens diplômés ?
Cette étude visait à identifier les pratiques des professionnels dans le cadre du traitement en cabinet libéral de kinésithérapie des patients atteints de SIA (de 10 à 17 ans) en France, en comparaison aux recommandations de bonne pratique disponibles dans la littérature.
Deux hypothèses ont été formulées :
- H1 : Les recommandations de bonne pratique et les méthodes ESSP sont peu connues et peu appliquées, notamment par les MK les plus anciennement diplômés (plus de 20 ans d’exercice), non-initiés à la recherche durant leur formation initiale (avant la réforme de la formation initiale de 2015 [17]).
- H2 : La formation du MK (continue post-diplôme) améliore l’application des recommandations de bonne pratique.
Méthode
Une étude quantitative descriptive a été effectuée pour recueillir des données par le biais d’une enquête par questionnaire en ligne. Un questionnaire de 29 questions, divisé en trois parties, a été élaboré.
La première partie (8 questions) permettait de cibler la population des MK libéraux qui exerçaient en France et traitaient des adolescents atteints de SIA. Une question fermée permettait de ne conserver dans l’échantillon que les MK qui traitaient des patients atteints de SIA, une question semi-ouverte permettait l’exclusion de tout MK qui exerçait en salariat seulement. À la réponse « pas de traitement de SIA » et « salariat », le MK était redirigé à la fin du questionnaire et ne pouvait pas accéder aux autres parties. Les étudiants étaient exclus lors de la question portant sur la date d’obtention du diplôme.
Les autres questions portaient sur le département d’exercice, l’IFMK fréquenté, les formations continues et le type de scolioses traitées.
La seconde partie (11 questions) portait sur la pratique, les méthodes et exercices utilisés ainsi que sur les motivations liées au choix des exercices. Une liste non-exhaustive de différentes méthodes (ESSP ou non) était proposée. Pour chacune d’entre elles, trois questions fermées étaient posées : Connaissez-vous les principes ? Utilisez-vous cette méthode ? Avez-vous suivi une formation post-diplôme à cette méthode ? Cette partie a été élaborée en s’appuyant principalement sur les recommandations de bonne pratique (Tableau I).
Questions posées | Ce que recommande la SOSORT 2016 [4] |
---|---|
À quelle fréquence faites-vous un bilan lors de la prise en charge d’un adolescent scoliotique sur le long terme ? (Question à choix multiple) | Réaliser des bilans-diagnostics complets et réguliers (au moins 2 fois/an en période de poussée pubertaire) |
Comment sont élaborés les objectifs que vous fixez ? (QCM) | Les objectifs du traitement doivent être : adaptés aux courbures de la SIA (dans les trois plans) ; élaborés en fonction du patient ; adaptés à la phase de traitement |
Avez-vous déjà redirigé un jeune scoliotique ? (QCM : médecin spécialiste, confrère kinésithérapeute, confrère paramédical) | Les différents intervenants doivent travailler en équipe pluridisciplinaire Au besoin, les bilans MK peuvent entraîner une réorientation du patient vers un autre professionnel |
Apprenez-vous des auto-exercices (reproductibles à la maison) à vos patients atteints de SIA ? (Question fermée) Pouvez-vous préciser lesquels ? (Question ouverte) | Enseigner des exercices individuellement, de façon à ce que le patient puisse les refaire à la maison ou lors de séances en groupe Instaurer des systèmes de contrôle de l’adhésion au traitement et de réévaluation des exercices |
La troisième partie (10 questions) abordait la connaissance des recommandations de bonne pratique et des ESSP. Différentes formes de questions ont été choisies : des questions fermées permettant des réponses précises et des questions semi-ouvertes permettant l’expression dans un cadre délimité. Une case « autres » a été ajoutée aux questions fermées et semi-ouvertes, pour laisser les répondants s’exprimer. Quelques questions ouvertes ont été également intégrées en vue de laisser une liberté d’expression aux répondants.
Le questionnaire a été testé sur 20 personnes, étudiants ou MK diplômés, afin de vérifier le fonctionnement du questionnaire avant de le mettre en ligne.
Le questionnaire a été mis en ligne le 6 janvier 2020 et clôturé le 31 janvier 2020 ; il a donc été en ligne pendant quatre semaines. Il a été diffusé par l’intermédiaire de l’outil Google Forms® – sous forme de lien – auprès des MK via cinq groupes fermés sur le réseau social Facebook®. Deux groupes comprenaient des MK avec un centre d’intérêt pour la pédiatrie. Un texte d’accroche informait le lecteur sur le thème du questionnaire et ses buts ainsi que la population ciblée. Il a également été transmis par messagerie électronique au répertoire de MK libéraux de Normandie par le biais de l’Union régionale des professionnels de santé-MK de la région.
L’analyse des résultats a été effectuée à l’aide du logiciel Excel® dans le but de comparer les résultats aux recommandations de bonne pratique. Les données du questionnaire étant qualitatives, des fréquences ont été calculées. Il était attendu des fréquences d’au moins 50 % de MK qui adhéraient aux pratiques conseillées par les recommandations de bonne pratique. Les réponses aux questions ouvertes ont été triées sous forme de codage par mots-clés pour une exploitation quantitative. Un test statistique exact de Fisher et un test d’indépendance du Khi2 ont été effectués (respectivement au risque alpha 10 % et 5 %), à l’aide de tableaux de contingence pour tester le lien entre deux variables qualitatives. Pour répondre à la première hypothèse, la fréquence de connaissances des recommandations de bonne pratique et des ESSP a été étudiée et une analyse comparative entre le sous-groupe des diplômés depuis moins de 20 ans et celui des diplômés depuis plus de 20 ans a été effectuée. Pour la seconde hypothèse, la fréquence d’application des recommandations de bonne pratique a été comparée en fonction du sous-groupe des MK qui avaient une formation post-diplôme et celui des MK qui avaient effectué uniquement leur formation initiale.
Résultats
Le questionnaire a recueilli 190 réponses, dont 189 ont été retenues après vérification des critères d’exclusion et ont permis une analyse descriptive : 94 % des MK avaient une activité libérale, mixte pour 6 % (libéral et salarié) ; 33 % ont obtenu leur diplôme entre 2015 et 2019, soit après la réforme de la formation initiale et après la publication des recommandations de bonne pratique de la SOSORT (2016) ; 52 % étaient diplômés depuis moins de 10 ans, 80 % depuis moins de 20 ans et 20 % depuis plus de 20 ans (Fig. 1A). Ils exerçaient dans 71 départements différents (Fig. 1B). Très peu (17 %) ont effectué une formation spécifique sur le traitement de la SIA dans le cadre du développement professionnel continu (Fig. 1C). Par contre, 38 % avaient effectué une formation concernant le rachis en général. Tous traitaient des SIA, mais 28 % n’avaient traité que des patients atteints de SIA à faibles courbures (< 20°).
Parmi les répondants, 94 % ne connaissaient pas les recommandations de bonne pratique, 98 % ne connaissaient pas les ESSP. Seuls 3 MK (2 %) les connaissaient–mais tous avaient effectué au moins une formation continue au sujet de la SIA.
Un certain nombre de recommandations de bonne pratique étaient respectées : la fréquence des bilans (au moins deux fois/an, 76 % des MK), la justification des objectifs en fonction du patient (74 % des MK) ; l’enseignement d’auto-exercices au patient (97 % des MK). Certains mettaient en place un système de suivi des exercices à la maison (réalisation de livrets d’exercices/photos/vidéos).
Deux objectifs de rééducation étaient pris en compte : la récupération de l’extensibilité des muscles rétractés ou hypo-extensibles (81 % des MK) et le renforcement musculaire (72 % des MK), mais avec un manque de précisions.
En revanche, certains exercices en rapport avec les quatre principes de base des ESSP ont été peu cités : l’autocorrection en 3D (27 % des MK), l’entretien de la fonction respiratoire (17 % des MK), la stabilisation de la correction posturale (26 % des MK ont fait un travail de stabilisation de la posture sur plan instable ou un autre travail de la proprioception), l’éducation thérapeutique (3 % des MK), l’intégration de la position corrigée dans les activités de la vie quotidienne (Aucun des MK).
Peu de MK travaillaient en équipe pluridisciplinaire : 56 % avec un médecin spécialiste et 44 % avec un autre professionnel paramédical, alors qu’il est recommandé de travailler en équipe.
Si les méthodes validées en tant qu’ESSP étaient très peu connues et utilisées, 65 % des MK indiquaient utiliser les méthodes dites des « chaînes musculaires » (méthodes Mézières, rééducation posturale globale de Souchard, Busquet ou GDS) (Fig. 2) ; 25 % avaient effectué une formation à ces méthodes.
Seuls 43 % des MK effectuaient un traitement différent lorsqu’il s’agissait d’une kinésithérapie accompagnant le port d’un corset ou d’une kinésithérapie prescrite isolément pour la surveillance d’une scoliose à faible courbure.
Même si la SOSORT recommande d’effectuer des ESSP pendant le traitement par corset, seuls 15 % des MK se préoccupaient des différents facteurs qui peuvent améliorer l’observance du port du corset. Dans ce même cadre, 11 % citaient spontanément le travail respiratoire, 8 % mobilisaient le rachis dans le but de maintenir, voire d’améliorer, la réductibilité des courbures.
Des freins à l’utilisation des recommandations de bonne pratique ont été évoqués : le manque de connaissance pour obtenir les documents (45 %) et le manque de temps (36 %) étaient les plus cités (Fig. 3) ; 85 % des MK pensaient manquer d’informations sur les différentes méthodes et 98 % étaient en demande d’informations pour enrichir leur pratique.
Vérification des hypothèses
Les recommandations de bonne pratique et les méthodes ESSP étaient-elles peu connues et peu appliquées, notamment par les MK les plus anciennement diplômés ? 4 MK (11 %) des plus anciennement diplômés (37 MK de plus de 20 ans) avaient connaissance des recommandations de bonne pratique, tandis que 8 MK (5 %) des MK les plus récemment diplômés (152 MK de moins de 20 ans) les connaissaient (Fig. 4A et B). Sur les 12 MK (6 %) qui connaissaient les organismes qui produisent les recommandations de bonne pratique, 3 (2 %) se sont formés après leur diplôme ; 7 des 12 MK qui connaissaient les recommandations de bonne pratique avaient moins de 5 ans d’exercice et aucune formation post-diplôme. Le test exact de Fisher a montré que l’ancienneté du diplôme n’impactait pas sur la fréquence de connaissance des recommandations de bonne pratique.
La formation du MK post-diplôme améliorait-elle l’application des recommandations de bonne pratique ? 33 MK (17 %) des MK avaient effectué une formation spécifique au traitement de la SIA, 72 MK (38 %) avaient effectué au moins une formation axée sur le rachis. Sur les 12 MK (6 %) qui connaissaient les organismes qui produisent les recommandations de bonne pratique, le quart avait effectué une formation continue. Les 3 MK (2 %) qui avaient effectué une ou des formations sur la SIA étaient aussi ceux qui connaissaient les ESSP.
Le travail pluridisciplinaire est un fait plus présent chez les MK formés post-diplôme : redirection vers un médecin spécialiste (20 % de plus que chez les MK sans formation post-diplôme) ou vers un professionnel paramédical (24 % de plus que chez les MK sans formation post-diplôme). L’utilisation des méthodes ESSP étaient plus souvent mentionnées par les MK formés post-diplôme : Dobomed 3 %, SEAS 12 %, Schroth 27 % et Méthode lyonnaise 30 % (Fig. 5). Le test d’indépendance du Khi2 a montré que la formation post-diplôme influait sur la fréquence d’utilisation des méthodes ESSP. Le fait d’avoir effectué une formation complémentaire permettait de mieux appliquer l’aspect pluridisciplinaire du traitement, d’utiliser des exercices plus ciblés dans les recommandations de bonne pratique, de mieux adapter la rééducation aux évolutions du traitement et de proposer un plus large choix de méthodes pour adapter le traitement au cas du patient.
Discussion
Des recommandations à la pratique
Un certain nombre de recommandations de bonne pratique sont respectées, mais certains principes de base sont néanmoins peu cités dans le traitement des patients atteints de SIA : l’apprentissage de la correction en 3D, la stabilisation de la correction posturale et le travail de la proprioception, l’entretien de la fonction respiratoire, l’éducation thérapeutique du patient.
Malgré la variété des pratiques due à l’indépendance professionnelle des MK, une application pratique plus importante des recommandations de bonne pratique fondées sur les données actuelles de la science est souhaitable. Les résultats montrent que les MK qui exercent en cabinet libéral en France méconnaissent les recommandations de bonne pratique ; les méthodes ESSP sont peu connues et peu appliquées au traitement de la SIA. Les MK les plus anciennement diplômés (plus de 20 ans) ne connaissent pas mieux ces recommandations que les MK plus récemment diplômés (moins de 20 ans). Sur les 6 % de MK qui connaissent les recommandations de bonne pratique, les deux tiers sont diplômés depuis moins de 5 ans et n’ont pas effectué de formation complémentaire sur la SIA. Le fait que, depuis quelques années, les étudiants bénéficient d’une initiation à la recherche semble aider à la connaissance des recommandations de bonne pratique.
Seuls 3 MK (2 %) ont cité soit les principes des ESSP, soit les méthodes reconnues comme ESSP recommandées par la SOSORT. Ces 3 personnes ont toutes effectué des formations post-diplôme sur la SIA, preuve d’un intérêt particulier pour cette pathologie. Ce constat relance le débat sur la spécialisation dans la profession.
La formation continue vers la spécialisation de la profession
La SOSORT recommande que le thérapeute soit expérimenté : « Le MK doit entretenir et parfaire ses connaissances », mais aussi, évaluer régulièrement sa pratique pour qu’elle soit conforme aux données de la science, comme le stipule l’article R.4321-62 du Code de déontologie. Les résultats montrent que 156 MK (83 %) n’ont pas effectué de formation complémentaire sur la SIA et 117 MK (62 %) n’ont pas effectué de formation complémentaire sur le rachis. La formation continue dans le cadre de la SIA s’avère encore insuffisante, d’où l’importance d’une formation initiale complète.
Des résultats similaires ont été mis en évidence dans d’autres études effectuées en Afrique du Sud, en Pologne, aux États-Unis, et au Royaume-Uni, où la connaissance de la scoliose idiopathique chez les physiothérapeutes ou les étudiants en physiothérapie était insuffisante [18], [19], [20], [21].
Si certaines spécialisations sont possibles en centre urbain, d’autres ne répondent pas à la demande d’une patientèle de régions rurales où le kinésithérapeute a plus un rôle d’omnipraticien [22]. Il serait donc intéressant de favoriser une formation continue de remise à niveau dans les différentes disciplines, tout en laissant la possibilité de se spécialiser à ceux qui le désirent. Les résultats indiquent que 98 % de MK sont en demande d’informations pour enrichir leur pratique, par des cours en ligne, en vidéos ou des formations. En France, la Méthode lyonnaise est l’une des approches recommandées par la SOSORT. Un programme d’e-learning en sept modules a été réalisé spécifiquement pour les kinésithérapeutes [23].
La diversité des méthodes dans le traitement de la SIA
Les MK connaissent peu les méthodes reconnues comme ESSP et recommandées par la SOSORT. Mais il existe un véritable engouement (65 %) pour l’utilisation des méthodes dites des « chaînes musculaires ». Ces méthodes ont des principes très proches des principes de base qui constituent les lignes directrices des ESSP. Par exemple, les principes énoncés par Mr Souchard, fondateur de la méthode de rééducation posturale globale, tout en privilégiant un traitement individualisé pour chaque patient :
- La meilleure participation possible du patient à sa propre correction est fondamentale ;
- Les postures de correction doivent être employées de façon globale ;
- La détorsion doit procéder la traction axiale (correction 3D) ;
- Libérer les restrictions d’amplitude articulaire ;
- Il est fondamental de travailler avec les réactions d’adaptation [24].
Ce sont les principes de base qu’il faudrait promouvoir et non les méthodes à proprement parler. Quelle que soit la méthode utilisée, si le bilan est bien conduit, les objectifs à atteindre seront les mêmes. L’une des recommandations de la SOSORT est que « les ESSP soient individualisés selon les besoins des patients, la localisation de la courbure et la phase du traitement ». Les différentes méthodes ne sont que des outils à la disposition du thérapeute. Disposer d’un grand nombre de MK qui connaissent la SIA et sa rééducation est un passage obligé si l’on veut que le MK ait toute sa place dans l’équipe pluridisciplinaire qui traite les patients atteints de SIA. La kinésithérapie doit tenir compte de l’aspect mécanique ainsi que de la dimension neurosensorielle de la posture et de son automatisation. Ce sont ces deux aspects qui donnent toute sa place à la kinésithérapie dans le traitement de la SIA [25], [26], [27], [28], [29].
L’échantillon et la validité interne de l’étude
L’échantillon était composé de 189 MK libéraux. Les réponses proviennent de 71 départements différents et de toutes les régions de France. La représentativité de la population est faible, 0,27 % des MK libéraux et en pratique mixte en France. Elle est entachée d’un biais de sélection puisque la majorité des MK (52 %) a moins de 10 ans d’exercice. De plus, l’hétérogénéité des sous-populations lors de l’analyse des résultats limite la validation de certaines des hypothèses. La méthode des questionnaires auto-administrés en ligne engendre un biais d’inclusion du fait que les répondants peuvent avoir un attrait particulier pour le sujet. Le questionnaire diffusé était composé de 29 questions. Y répondre nécessitait 10 min ce qui, par un effet de longueur, a pu impacter la qualité des réponses. Cette méthode permet une validité externe forte, par un recours à des techniques d’échantillonnage et une comparaison aisée des données. Mais la validité interne est faible : réponses pré-codées, peu nuancées et subjectivité d’analyse du contenu, notamment dans les questions ouvertes. D’autant plus que le questionnaire utilisé n’a pas été validé.
Il serait intéressant de compléter cette approche du sujet par des entretiens avec les MK, afin d’éventuellement obtenir des informations sur des phénomènes difficilement détectables via un questionnaire. L’échantillon ne peut donc être considéré comme significatif et ne peut apporter une validation absolue des hypothèses. Cependant, il offre la possibilité d’observer les tendances actuelles des pratiques des MK libéraux de France dans le traitement des patients atteints de SIA.
Conclusion
Les directives SOSORT 2016 ont été élaborées sur la base des preuves actuelles du traitement conservateur de la SIA et du consensus de spécialistes du traitement fonctionnel et conservateur du monde entier. Elles recommandent que les programmes d’ESSP soient conçus par des thérapeutes spécialement formés à la méthode qu’ils pratiquent. Malgré la diversité des méthodes employées, peu des MK français semblent connaître les recommandation de bonne pratique et encore moins ont été formés à la pratique des ESSP. La SIA est fréquemment traitée en cabinet libéral, mais peu de MK semblent avoir effectué une formation post-diplôme à ce sujet. La qualité des cours reçus lors de la formation initiale prend alors toute son importance. Même si la notion de MK « spécialisés » est discutable et pas encore admise chez les MK, il semblerait que la formation continue améliore en partie l’application des recommandations de bonne pratique. Les études futures devraient viser à évaluer les stratégies d’intervention pour améliorer les connaissances et les compétences des MK concernant le traitement des patients atteints de SIA.
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