Anatomie de l’appareil locomoteur et fascias, une union impossible ?
Par Patrice Thiriet
Résumé
Le texte officiel qui régit l’organisation des études et les programmes d’enseignement en masso-kinésithérapie ne cite que deux fois, et de manière anecdotique, les fascias. Les instructions et recommandations ne font référence qu’à un système ou appareil musculo-squelettique. Les publications scientifiques référencées par Pubmed et des auteurs renommés – Kapandji en particulier – mettent en évidence l’importance des fascias et le concept de tenségrité, appelant à une réflexion sur l’approche traditionnelle de l’anatomie fonctionnelle de l’appareil locomoteur et de la biomécanique. Dans ce contexte, il convient de s’interroger sur les choix de l’enseignant chargé des cours d’anatomie fonctionnelle au regard de ce texte.
Mots-clés
Anatomie de l’appareil locomoteur; Compétences; Fascias; Formation; Masseur-kinésithérapeute
Introduction
L’anatomie est une discipline fondamentale pour les étudiants en masso-kinésithérapie. Les connaissances sur les fascias et les nouveaux paradigmes évoluent rapidement tandis que l’importance de leurs rôles n’est pas contestée. Comment l’enseignant d’anatomie de l’appareil locomoteur qui assure ses cours au premier semestre de formation peut-il prendre en compte cette évolution ?
Les fascias : l’état de l’art
Le résultat d’une recherche sur Pumed.gouv avec le mot-clef « fascia » affiche 23 600 articles publiés en septembre 2021, dont 10 200 depuis 2010 et 6500 depuis 2015. Des auteurs émergent, au travers de leurs recherches et/ou de leurs pratiques parmi lesquels Schleip, Myers, mais aussi Langevin, Lieberman – professeurs à Harvard –. Carla Stecco, auteure de 129 publications référencées et d’un ouvrage magistral publié en novembre 2020, souligne dans sa préface que « …le fascia est un véritable système organique aux aspects macroscopiques et histologiques uniques, (avec) ses fonctions et pathologies propres » [1].
Les textes officiels
L’Arrêté du 2 septembre 2015 relatif au diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute [6] définit les contenus d’enseignement et l’organisation des études.
Les fascias y sont cités deux fois dans une seule UE : l’UE 4, chapitre « Recommandations sur les éléments de contenus », dans deux sous chapitres « Anatomie descriptive » : « Fascias et espaces de glissement » et « Physiologie de l’appareil musculosquelettique : os, articulations, muscles, fascias. Les mots « fascial » ou « myofascial », « système ou appareil myo-fascial » sont absents – de même que le mot « tenségrité ». On compte 31 fois le mot « musculo-squelettique », 8 fois le mot « biomécanique », 16 fois le mot « mécanique », 8 fois le mot « massage ».
Ce texte ne précise pas comment, dans ce contexte, respecter le Référentiel des activités et le Référentiel des compétences ainsi que les recommandations et critères d’évaluation qui accompagnent ces référentiels. Il n’explique pas comment, sans une connaissance approfondie des fascias, préparer l’étudiant en « Masso »-kinésithérapie à la pratique et aux techniques du massage évoqué dans les UE 6, 7, 19 et 20.
Pourtant, les cours de l’enseignant d’anatomie dispensés dès le début du premier semestre connaîtront une application dans plusieurs autres UE, par exemple l’UE 5 « Sémiologie, physiopathologie et pathologie dans le champ musculo-squelettique », l’UE 6 « Théories, modèles, méthodes et outils en kinésithérapie », l’UE 8 « Méthodes de travail et méthodes de recherche » ou l’UE 10 « Démarche et pratique clinique : Élaboration du raisonnement professionnel et analyse réflexive ».
Conclusion
L’enseignant d’anatomie de l’appareil locomoteur qui assure les cours de l’UE 4 doit apporter aux étudiants des informations sur les fascias. Le libellé de l’Arrêté du 2 septembre 2015 suggère une place pour les fascias d’autant plus anecdotique que ces informations ne sont jamais appelées à être exploitées ou développées dans d’autres UE, en particulier pour ce qui concerne le massage, ou les « recommandations sur les éléments de contenu ».
Au terme de quatre années de formation, les étudiants risquent donc de méconnaître l’émergence de nouveaux paradigmes et de se trouver en difficulté face à des équipes pluridisciplinaires ou face à des praticiens qui se seront volontairement informés ou formés sur ce sujet. On peut également s’interroger sur les réactions de leurs futurs patients qui peuvent s’informer sur Internet, pratiquer des activités faisant référence aux fascias et/ou consulter un ostéopathe.
Dans ce contexte, il est légitime de s’interroger sur les causes de cette situation et d’appeler les instances concernées à une possible révision des programmes.
Points à retenir
- Les connaissances sur les fascias et les nouveaux paradigmes évoluent rapidement, tandis que l’importance de leurs rôles n’est pas contestée.
- Le mot « fascia » ne figure que deux fois dans l’arrêté du 2 septembre 2015 relatif au diplôme d’État de « masseur »-kinésithérapeute.
- Les mots « fascia » ou « fascial » ne sont jamais cités dans les « Recommandations sur les éléments de contenus » de l’arrêté du 2 septembre 2015.
Références
[1] C. Stecco, Atlas fonctionnel du système fascial humain, Tita Éditions (2020), Google Scholar
[2] Vidal, Anatomie de la colonne vertébrale. Nouveaux concepts, Sauramps Medical (2020), Google Scholar
[3] Kapandji AI. Qu’est-ce que la biomécanique ? Sauramps Médical, Novembre 2011, Google Scholar
[4] A. Guimberteau, Architecture du corps humain vivant. Le monde extracellulaire, les cellules et le fascia révélés par l’endoscopie intratissulaire, Sully (2016), Google Scholar
[5]Conseil National de l’Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes. https://ordremk.fr/wp-content/uploads/2012/12/le-referentiel-2013.pdf Référentiel de la profession. Édition 2013. Coordination Roquet P. et Gatto F. , Google Scholar
[6] République française. Arrêté du 2 septembre 2015 relatif au diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute. JORF no 0204 du 4 septembre 2015, 134p NOR : AFSH1516238A, https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000031127778/, Google Scholar