Symposium de l’Association suisse de physiothérapie du sport, Berne, 22.11.2019 « L’épaule et le sport »
Auteur : Dominique Monin
Le gratin européen des spécialistes des problèmes de l’épaule liés au sport s’est succédé à la tribune pour faire le point des connaissances actuelles du sujet devant une salle pleine (Fig. 1). Quelques Impressions :
Merete Møller (Université de Southern Denmark, Danemark) a ouvert le congrès avec un exposé consacré à la prévention des lésions de l’épaule liées à la pratique du handball chez les jeunes de 14 à 18 ans. Une étude portant sur 679 personnes (44 % de femmes) a relevé 709 lésions au cours de la saison 2013–2014, dont 106 (14 %) à l’épaule. Parmi ces lésions, 42 % étaient qualifiées de sévères ; 1 joueur sur 5 a été victime d’une lésion au cours de la saison ! Deux facteurs de risques sont bien documentés dans la littérature : la dyskinésie de l’épaule et une diminution de force en rotation externe de l’épaule.
Les travaux de Merete Møller ont permis d’attirer l’attention sur un troisième, l’importance de la variation de charge d’activité, telle que mesurée par le rapport entre la moyenne de charge des 4 semaines précédentes et celle de la semaine en cours :
- les personnes qui augmentent leur charge d’activité de moins de 20 % ont peu de risque de lésion, même si elles présentent une dyskinésie ou une diminution de force en rotation externe de l’épaule ;
- les personnes qui augmentent leur charge d’activité de 20 à 60 % ont un risque de lésion accru si elles présentent une dyskinésie ou une diminution de force en rotation externe de l’épaule ;
- les personnes qui augmentent leur charge d’activité de 60 % ou plus ont un fort risque de lésion (ratio de risque 1,9 (IC 95 % 1 à 3,7), même si elles ne présentent pas de dyskinésie ou de diminution de force en rotation externe de l’épaule.
Si l’on considère que la charge d’activité des 4 semaines précédentes était de 5 h, la première catégorie représente ≤ 6 h, la deuxième entre 6 et 8 h, la troisième ≥ 8 h. La limite est donc vite atteinte pour les personnes qui présentent un autre facteur de risque. Ces variations peuvent facilement survenir lorsqu’un joueur passe dans une catégorie supérieure ou au terme d’une pause prolongée. Elles semblent donc mériter toute l’attention des entraîneurs comme des kinésithérapeutes qui traitent des sportifs.
Et, si ces données ne concernent que les handballeurs de 14 à 18 ans, il ne serait pas étonnant que ce phénomène se produise également dans d’autres sports et catégories d’âge.
À noter qu’un programme de prévention a été proposé à ces sportifs (https://fknl.fr, http://www.fittoplay.org). Si 90 % des entraîneurs se sont montrés enthousiastes, la plupart des sportifs s’y sont avérés réfractaires, invoquant le côté peu attrayant des exercices et le manque de temps. La prévention primaire a encore du chemin à parcourir pour convaincre son public-cible !
Jeremy Lewis (Université de Hertfordshire, Royaume-Uni) a, lui aussi, souligné l’importance des changements ou augmentations inhabituels, de charge, rapides, excessifs, en tant que facteurs de risque des douleurs d’épaule liées à un problème de la coiffe des rotateurs. Sportifs ou non. Il a proposé une approche thérapeutique commune pour les deux catégories de patients :
- Empathie, compréhension, soutien, alliance thérapeutique, décisions partagées ;
- « Je ne possède pas la solution miracle qui vous réparerait instantanément » ;
- Expliquer le processus temporel discontinu de la guérison ;
- Préciser qu’une ‘décharge’ est indispensable (intensité, durée, fréquence) ;
- Débuter la réadaptation à un niveau sans risque et progresser graduellement ;
- Passer les étapes de progression au rythme de la récupération ;
- Intégrer les facteurs de risques dans la réadaptation ;
- Travailler l’entièreté des chaînes cinétiques ;
- Utiliser un langage positif ;
- Penser aux nouvelles technologies.
Suzanne Gard (Hôpitaux universitaires de Genève, Suisse) a rappelé à quel point nos appréciations sont imprécises et reflètent plus ce que nous attendons que la réalité. Ne l’oublions-nous pas trop et trop souvent ? Dans son exposé consacré à la dyskinésie scapulothoracique, elle a évoqué l’étude de Plummer et al. [1]. Par groupes de 2, 21 physiothérapeutes devaient détecter une éventuelle dyskinésie scapulo-thoracique dans un groupe de 135 personnes (68 patients, 67 contrôles) qui effectuaient 5 flexions et abductions successives de l’épaule. Un des deux physiothérapeutes savait quelles personnes avaient une douleur d’épaule. Les observateurs n’ont pas signalé plus de dyskinésies chez les patients qui avaient mal à l’épaule que chez les autres, mais les observateurs qui connaissaient les patients qui avaient mal ont trouvé plus de dyskinésies chez eux que chez les personnes du groupe contrôle !
Martin Hägglund (Université de Linköping, Suède) s’est demandé si la pratique du football dans l’élite était dangereuse pour les épaules. Selon que l’on travaille dans le bâtiment, dans l’industrie, dans les services ou sur un terrain de football, l’absentéisme est respectivement de 0,65 h, 0,59 h, 0,25 h et 825 h par 100 000 h d’activité ! Chaque joueur de football est en moyenne victime de 2 blessures par saison, prend part à 77 % des entraînements et 86 % des matches. Mais, les blessures de l’épaule ne figurent pas dans les 10 blessures les plus fréquentes qu’ils contractent. Celles-ci concernent, on le comprend, plus les gardiens (19 % des blessures) que les joueurs de champ (2 % des blessures). Les blessures des gardiens proviennent assez rarement de contacts (25 %), contrairement à celles des joueurs de champ (74 %). Le risque de blessure de l’épaule est de 0,014 par saison pour un joueur de champ (1 blessure pour 69 saisons !) alors qu’il se situe à 0,08 pour un gardien (1 blessure pour 12 saisons).
Comme chaque année, ce symposium a été l’occasion de récompenser le meilleur travail de Bachelor en physiothérapie consacré au sport élaboré dans une Haute école suisse. Trois travaux pré-sélectionnés ont été présentés en séance plénière (cf. ci-dessous). Le Prix a été attribué à Loïc Bel et Vincent Ducret de la Haute école de Santé Valais/Wallis :
Performance et prévention chez les athlètes : effets des programmes de prévention des lésions des membres inférieurs
Introduction : les programmes de prévention des lésions du membre inférieur ont été évalués. Leur efficacité a été démontrée au fil des années, mais leur taux de pratique reste faible. Certaines études suggèrent que si ces programmes devaient démontrer des effets positifs sur la performance, cela pourrait améliorer l’adhésion des athlètes, coaches, préparateurs physiques et physiothérapeutes du sport.
Objectifs : déterminer si les programmes de prévention des lésions du membre inférieur ont un impact sur le taux de ces lésions et sur la performance chez les athlètes de tous âges, niveaux et genres.
Méthode : revue systématique de revues systématiques enregistrée sur Prospero (no d’enregistrement : CRD42019122204) avec recommandations basées sur le système GRADE. Les revues systématiques en Anglais, Allemand ou Français, publiées depuis 2008, traitant de programmes de prévention des lésions du membre inférieur avec au moins un exercice neuromusculaire ont été incluses. La population de l’étude devait comprendre des athlètes de tous âges, niveaux et genres. Les revues systématiques qui n’analysaient pas la performance ou dont le programme analysé n’avait pas pour but principal la prévention des lésions ont été exclues. Cinq banques de données scientifiques (OVID, Cinahl, PEDro, PubMed, Cochrane) ont été explorées.
Résultats : Un total de 4115 références ont été identifiées. Un total de 4 revues systématiques ont été évaluées ; elles présentaient un niveau qualité modéré et ont été conservées pour l’analyse. Les recommandations ont été émises selon le système GRADE. La force des recommandations est faible pour toutes les interventions analysées : vitesse [DMS −0,54 ; (IC 95 % : −0,90, −0,19) ; (p = 0,003)], force [DMS 0,05 ; (IC 95 % : −0,18, 0,28) ; (p = 0,66)], agilité [DMS −0,63 ; (IC 95 % : −1,23, −0,03) ; (p = 0,04)], saut horizontal [DMS 0,16 ; (IC 95 % : −0,70, 1,02) ; (p = 0,71)], saut vertical [DMS 0,38 ; (IC 95 % : 0,23, 0,54) ; (p < 0,00001)], équilibration statique [DMS 0,39 ; (IC 95 % : −0,16, 0,95) ; (p = 0,16)], équilibration dynamique [DMS 0,48 ; (IC 95 % : 0,21, 0,75) ; (p = 0,0005)], incidence des blessures [RR 0,78 ; (IC 95 % : 0,60, 1,02) ; (p = 0,07)].
Conclusion : Si le but du physiothérapeute du sport est de prévenir les blessures, la pratique d’un programme de prévention est recommandée. Si les objectifs sont d’améliorer les capacités fonctionnelles de l’athlète, un entraînement spécifique et ciblé s’avérerait plus pertinent.
Loïc Bel, Vincent Ducrest
Haute École de Santé, HES-SO Valais-Wallis, Filière de physiothérapie, Rathausstrasse 8, CH-3954 Loèche-les-bains, Suisse
Adresse e-mail : [email protected]
Tests d’équilibration dynamique après reconstruction du ligament croisé antérieur
Introduction : les ruptures du ligament croisé antérieur (LCA) sont parmi les lésions les plus graves du genou et celles qui se prolongent le plus. Avant de reprendre le sport, il est donc important de vérifier si le patient est prêt à le faire sans courir un risque excessif de récidive. Il existe plusieurs batteries de tests pour aider à la décision de reprise du sport. La plupart comprennent des tests de contrôle postural et d’équilibration dynamique.
Ce travail visait à étudier deux de ces tests, la stabilométrie (station unipodale sur plate-forme instable) et le test d’équilibration en Y (TEY). L’objectif était de préciser si les deux tests et leurs sous-tests mesurent la même chose. Il s’agissait aussi d’étudier comment les résultats des tests des patients évoluent au cours des neuf premiers mois après la reconstruction du LCA. Il existe très peu de documentation sur ces deux questions, même si la stabilométrie et le TEY ont été bien étudiés et présentent une fiabilité moyenne à élevée.
Méthode : nous avons effectué une analyse rétrospective pour répondre à ces deux questions. Les données recueillies dans une clinique du sport suisse qui dispose d’un service de physiothérapie et d’entraînement thérapeutique ont été analysées. Un test de reprise du sport a été effectué trois, six et neuf mois après l’opération. Il comprenait des mesures de stabilométrie et un TEY. La stabilométrie a été effectuée avec le dispositif ProkinTM 252 (TecnoBody®, Dalmine, IT), le TEY avec le kit de test YBTTM (FMS® Inc., Chatham, USA). L’étude a porté sur 209 personnes, bien qu’elles n’aient pas toutes effectué les deux tests aux trois moments de l’étude.
Résultats : la stabilométrie et le TEY présentaient peu ou pas de corrélation. La seule corrélation significative, mais faible, se situait entre le sous-test ellipse de la stabilométrie et le TEY composite (rs = −0,26). Ainsi, la stabilométrie et le TEY mesuraient différents aspects du contrôle postural.
Le contrôle postural augmentait le plus entre trois et six mois, aussi bien au niveau de la stabilométrique que lors du TEY, tandis qu’une stagnation se produisait entre six et neuf mois (taille de l’effet : ellipse trois à six mois après l’opération : 0,66, six à neuf mois : 0,03 ; TEY composite trois à six mois après l’opération : 0,75, six à neuf mois : 0,03).
Discussion : le fait que les deux tests ne mesurent pas la même chose peut provenir de ce que d’autres mécanismes de contrôle postural sont actifs dans les tâches fixées. En tout état de cause, il semble raisonnable de continuer à effectuer les deux mesures dans le cadre du test de reprise du sport. Il faudrait vérifier si une adaptation du test, par exemple avec les yeux fermés, serait utile.
Le contrôle postural est très sollicité jusqu’à six mois après la reconstruction du LCA ; il montre également la plus grande plasticité pendant cette phase.
Susanne Dängeli, Carmen Pernstich
Berner Fachhochschule Gesundheit, Murtenstrasse 10, 3000 Berne, Suisse
Adresse e-mail : [email protected]
Quels critères doivent être remplis dans la phase de remodelage après une rupture du ligament croisé antérieur pour réussir le retour à la course et quelles évaluations sont appropriées pour les vérifier ?
Introduction : la rupture du LCA est une lésion courante chez les personnes physiquement actives (Hauger et al., 2018). Un retour à la course à pied réussi est une étape importante de la réadaptation et un jalon avant le retour au sport (Rambaud et al., 2018). Dans la pratique, les professionnels manquent encore de critères et d’évaluations spécifiques (Greenberg et al., 2018).
Objectif : l’objectif était d’élaborer des recommandations sur les critères et les évaluations qui peuvent être utilisés dans la phase de remodelage de la réadaptation afin d’assurer la réussite du retour à la course après une rupture du LCA.
Méthode : une recherche documentaire a été effectuée dans les bases de données Medline, Cinahl, Pubmed et ETH. D’autres documents ont été rassemblés à partir de livres spécialisés, d’un symposium et de conversations avec des experts. En raison du petit nombre d’études, ce travail est, en partie, théorique.
Résultats : quatre types de critères sont relevés : cliniques, basés sur le temps, basés sur la force et basés sur la performance. Les critères cliniques (95–100 % ROM en flexion du genou en comparaison latérale, aucun gonflement, douleur < 2/10 sur l’échelle numérique de la douleur) sont rarement utilisés. On ne sait pas s’ils sont considérés comme inutiles ou s’il va de soi qu’ils sont atteints. Le critère temporel de 2,5 à 4 mois est le plus utilisé. Les mesures de la force semblent être d’une utilité mineure, car leurs descriptions ont tendance à être vagues et incohérentes. Malgré l’absence de normalisation et, par conséquent, un taux d’erreur élevé, le testing musculaire manuel est souvent utilisé en pratique clinique. Ce type de mesure est évalué à l’aide du Limb symetry index, qui fait défaut dans d’autres études connues. La validité et l’évaluation du testing musculaire manuel sont discutables. Pour tirer une conclusion sur la fonction du genou, il convient d’utiliser des critères fondés sur la performance. Les évaluations les plus utilisées sont les hop tests (single leg hop et triple hop test) et Y balance test, qui montrent la fonction spécifique du genou, ont une procédure standardisée et donnent des indications claires concernant le statut spécifique d’une partie du cycle en cours. Le Limb symetry index est également utilisé avec ces tests.
La différence latérale de 10 % chez les sujets sains n’est pas expliquée.
Discussion : pour garantir la réussite d’un retour à la course sûr, tous les critères doivent être pris en compte et tous les critères cliniques doivent être respectés. La mesure isocinétique permet d’évaluer la force en raison de sa validité et de sa fiabilité élevées. Toutefois, les normes et une procédure de comparaison parallèle doivent être révisées. Le single leg squat est recommandé pour tester la stabilité et la résistance dynamique. Le Y balance test permet de vérifier la coordination intermusculaire et intramusculaire. Le single leg hop et le triple hop simulent les exigences de la course en phase d’appui et d’élan, de la poussée du sol et de l’atterrissage du membre atteint.
Samira Michelle Schärer, Kathrin Dietiker
Zürcher Fachhochschule für Angewandte Wissenschaften, Gertrudstrasse 15, 8401 Winterthur, Suisse
Adresse e-mail : [email protected]
Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Référence
[1] H.A. Plummer, J.C. Sum, F. Pozzi, R. Varghese, L.A. Michener
Observational Scapular Dyskinesis: Known-Groups Validity in Patients With and Without Shoulder Pain
J Orthopaedic Sports Phys Ther, 47 (2017), pp. 530-537, 10.2519/jospt.2017.7268
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