Échographie appliquée à la rééducation oro-maxillo-faciale :
Pourquoi tout kinésithérapeute maxillo-facial devrait avoir un échographe ?
Carlos Diaz Lopez
Kinésithérapeute, MSc Service de rééducation Hôpital Forcilles Férolles-Attilly (77)
Aymeric Le Neindre
Kinésithérapeute, Doctorant Cellule de Recherche clinique Hôpital Forcilles Férolles-Attilly Universié de Bourgone UMR 1231 Dijon (21)
En rééducation oro-maxillo-faciale (OMF), le kinésithérapeute participe à la prise en charge pluridisciplinaire de nombreuses situations pathologiques : dysfonctions temporo-mandibulaires (DTM), troubles du sommeil (TS), dysphagie, paralysies faciales (PF) ou encore les cancers de la tête et du cou. Les pathologies indiquant la kinésithérapie, impliquent différents structures musculaires, articulaires ou viscérales pour lesquelles l’évaluation habituelle en kinésithérapie manque defiabilité et de précision. L’évaluation en kinésithérapie de la cinématique de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM), de la tonicité des muscles de la mastication, de la face ou linguales manque de fi abilité et de précision. Elle est souvent basée sur la douleur ressentie, la palpation, la réalisation des praxies et des évaluations subjectives qui rendent difficile le suivi précis de l’évolution du malade [1, 2]. L’évaluation des oedèmes faciaux et cervicaux, fréquents dans les suites des chirurgies des cancers de la tête et du cou, nécessite également des outils d’évaluation précis afin de suivre leur évolution [3]. L’échographie est un outil diagnostic non invasif, non irradiant et simple d’utilisation. Elle permet l’analyse quantitative et qualitative des nombreuses structures impliquées dans les dysfonctions de la sphère OMF et ouvre donc de nouvelles perspectives pour les kinésithérapeutes [4, 5]. Échographie dans les dysfonctions temporomandibulaires Les DTM répondent à différents mécanismes pathologiques complexes qui peuvent combiner
Échographie dans les dysfonctions temporomandibulaires
Les DTM répondent à différents mécanismes pathologiques complexes qui peuvent combiner
différents signes et symptômes comme les céphalées, douleurs, bruits et blocages articulaires [1]. Les explorations fonctionnelles et la palpation sont les outils les plus utilisés face à ces tableaux cliniques. La palpation permet l’analyse de la cinématique de l’ATM, des bruits articulaires et des structures musculaires. En revanche, la localisation de l’articulation, incrustée dans l’os temporal, rend diffi cile la palpation des surfaces articulaires. Il est également diffi cile, au niveau périarticulaire, de distinguer les tissus capsulaires, ainsi que d’autres tissus comme les muscles ou les tendons. Les bruits articulaires, également évalués par la palpation, nécessitent d’être complétés par d’autres examens afin d’évaluer le degré de sévérité [6]. Quant à la palpation musculaire, bien qu’elle permette d’identifier des myalgies avec une excellente précision, apporte peu d’information sur la structure interne des muscles et ne permet pas un suivi précis de l’évolution musculaire [2]. L’échographie permet l’évaluation statique et dynamique de l’ATM ainsi que la possibilité d’évaluer les structures impliquées dans différentes positions d’étirement, compression ou mise en tension. Elle est donc un excellent outil pour compléter l’évaluation clinique des DTM. Nous pourrons évaluer les surfaces et le disque articulaire à la recherche des altérations discales ou osseuses, comme l’érosion de la corticale ou la présence d’ostéophytes [7]. L’évaluation et la mesure de l’espace articulaire nous permettra d’objectiver des épanchements intra-articulaires, non dépistés à l’évaluation clinique. Lors des mouvements de l’ATM, nous pourrons suivre le déplacement du disque et sa relation avec le condyle à la recherche d’une altération
dans le déplacement avec une excellente sensibilité et spécificité (fi g. 1) [7]. De plus, l’évaluation par échographie des muscles de la mastication sera également un complément excellent pour le kinésithérapeute. Elle nous permet l’analyse de la structure interne de ces muscles, dont l’altération du tonus est souvent à l’origine des troubles de la mastication et des douleurs au niveau de l’ATM ou des céphalées. Les triggers points, souvent à l’origine des myalgies et céphalées, pourront également être objectivés par échographie [8]. Enfin, les modifi cations de la structure musculaire comme réponse aux traitements proposés, pourront également être suivi avec précision par échographie (fi g. 1).
Échographie dans les troubles du sommeil
L’intérêt grandissant de la rééducation OMF dans le cadre des syndrome des apnées obstructives du sommeil (SAOS), nécessite des nouveaux outils d’évaluation accessibles aux kinésithérapeutes afin de suivre la réponse des patients au traitement proposé. Au cours de la dernière décennie, de nombreux auteurs se
sont intéressés à l’utilisation de l’échographie dans l’évaluation du SAOS. L’évaluation échographique s’intéresse principalement à l’évaluation des structures comme la langue ou le pharynx, principales cibles de la rééducation [9]. L’évaluation de l’épaisseur de la langue et sa modifi cation en lien avec la respiration et la manoeuvre de Muller, ainsi que la distance entre les artères linguales pourra être utilisé dans l’évaluation échographique du SAOS. Une distance entre les artères linguales supérieure à 30 mm serait révélatrice d’un SAOS modéré ou sévère[10]. Quant à l’épaisseur de la langue, comparée à un groupe contrôle, une modifi cation de l’épaisseur de la base de langue avec ou sans manoeuvre de Muller est associée au diagnostic de SAOS. Enfin, une épaisseur de la base de langue au repos supérieure à 60 mm est en lien avec un SAOS sévère [9]. Quant au mur pharyngé, la mesure de son épaisseur par échographie est bien corrélée à l’IRM et est positivement corrélée à l’index d’apnées- hypopnées [9]. D’autres structures comme les tissus sous-cutanés au niveau infra-hyoïdien ont également été étudiés mais n’ont pas montré de lien avec le diagnostic de SAOS.
Échographie dans les cancers de la tête et du cou
Les conséquences des traitements des cancers de la tête et du cou sont nombreuses et indiquent souvent la kinésithérapie : les atteintes du muscle trapèze durant l’intervention chirurgicale, les oedèmes aux niveaux facial et cervical, ainsi que les altérations des capacités fonctionnelles conséquentes à la radio/chimiothérapie. D’une part, l’échographie permet l’évaluation des oedèmes avec une excellente reproductibilité inter et intra-examinateur, quelle que soit la localisation. Elle permet l’évaluation des caractéristiques des différents types d’oedèmes, notamment ceux localisés dans les joues et régions sous-mentonnière et cervicale (fig. 2) [3]. Par ailleurs, l’utilisation de l’échographie durant la rééducation fonctionnelle du patient sous radio/chimiothérapie, nous permettra d’évaluer et de suivre les modifications de la masse, l’architecture et les capacités fonctionnelles des muscles périphériques [11, 12]. Son utilisation pour le suivi des fonctions musculaires est largement décrite dans la littérature et fréquemment utilisé en pratique clinique par les kinésithérapeutes dans différents domaines comme chez le sportif, en gériatrie ou en réanimation (fig. 3) [12, 13].
Échographie de la déglutition
Les troubles de la déglutition motivent également grand nombre d’actes de rééducation en kinésithérapie OMF, que ce soit à l’hôpital ou en cabinet de ville. Ils sont souvent la conséquence des troubles de la maturation linguale, du développement des fonctions de la mastication ou des chirurgies carcinologiques. Une fois de plus, l’échographie permettra au kinésithérapeute de compléter une évaluation clinique qui manque de fiabilité et de précision diagnostique. Appliquée aux voies aérodiges-
tives, l’échographie va nous permettre l’évaluation des structures impliquées dans les 3 phases de la déglutition. Elle permet l’analyse de la structure interne et l’épaisseur des muscles hyoïdiens [14, 15], de la mastication [16], et de la face et de la langue [17]. Les mouvements du larynx et le sphincter supérieur de l’oesophage durant la déglutition peuvent également être mesurés [17, 18]. L’intérêt diagnostic de l’échographie de ces structures fait l’objet d’un projet de recherche en cours mené par les auteurs.
discussion
En rééducation OMF, le kinésithérapeute évalue des nombreuses structures et fonctions pour lesquels l’examen clinique manque souvent de précision et fiabilité. Nous avons mis en lumière comment l’évaluation échographique pourrait compléter cette évaluation dans un grand nombre de situations cliniques comme les DTM, les dysphagies, le SAOS ou encore les cancers de la tête et du cou. L’échographie de l’ATM permet d’objectiver l’épaisseur du disque et ses déplacements ainsi que des altérations intra-articulaires. Son utilisation durant la rééducation des PF, des céphalées ou des DTM permet un suivi précis de l’évolution musculaire. Au cours de la rééducation de l’oralité, de la déglutition et des TS, elle permet également un suivi précis de l’évolution de la cinétique et de la contraction linguale, ainsi que du mur pharyngé. L’analyse des glandes salivaires permettra au kinésithérapeute de réorienter le patient dans les situations où elles sont à l’origine des douleurs motivant la consultation. Enfin, elle permet également le suivi des oedèmes et des muscles périphériques dans les suites des traitements des cancers de la tête et du cou où le kinésithérapeute en rééducation OMF est également fortement impliqué.
conclusion
L’échographie appliquée à la rééducation OMF pourrait améliorer l’évaluation du patient, le
suivi de son évolution et la réponse à la rééducation. Une solide compréhension des mécanismes physiopathologiques des troubles OMF et de la sémiologie échographique permettront au kinésithérapeute de profiter du potentiel de cet outil. L’échographie semble être prometteuse pour le kinésithérapeute, que ce soit en pratique clinique ou en tant que critère d’évaluation en recherche, afin d’améliorer le diagnostic et le suivi des dysfonctions intéressant la sphère OMF.
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